Intervention du Samedi 3 juin 2017 aux Journées Francaise de Thérapie Narrative, Fac de Psychologie d'Aix-en-Provence.

La présentation que je vous propose est issue du travail du D. Julien Betbèze, éminent psychiatre et grand spécialiste français des thérapies narratives, pour qui, comme vous pouvez l’entendre, j’éprouve un immense respect et dont je vous invite tous à lire les publications.

 

Bien sur, autant pour des raisons éthiques, esthétiques, politiques que philosophiques la thérapie narrative est très attirante.

Mais c’est surtout une thérapie très efficace en pratique clinique. 

Mon intervention aujourd’hui portera sur le processus qui sous tend le travail de  questionnement et qui rend cette pratique aussi opératoire et puissante dans la pratique quotidienne 

Je vous propose donc de partir d’une modélisation du processus sous jacent à l’oeuvre pour mieux comprendre l’utilité et l’utilisation des cartes

 

 

Avant tout il convient de rappeler que thérapie narrative s’inscrit dans le champ des modèles post-structuralistes de thérapies systémiques.

 

M. White a une formation de thérapeute familial et c’est en partant de la pensée de Gregory Bateson qu’il a développé la notion de double écoute.

Ainsi alors que dans l’approche traditionnelle on réfléchira plutôt en terme de causalité structurale et linéaire (le problème étant l’expression d’un dysfonctionnement interne qui va agir sur la vie du sujet) White envisage le problème comme séparé de la personne (le problème étant ici un effet de contexte sur lequel on pourra avoir une influence en retour).

M. White a développé une séries de cartes narratives, qui serviront d’échafaudages pour soutenir des conversations thérapeutiques permettant aux sujets de se reconnecter avec leur histoire préféré.

Ces cartes sont en fait tout simplement une série de questions spécifiques, questions qui s’organisent comme les étapes d’une carte pour tracer de nouveaux chemins vers des terres oubliées ou à découvrir.

C’est ce travail de questionnement qui va façonner une histoire à multi-niveaux dans laquelle le patient redevient créateur de sens, lui permettant ainsi de se ressentir à nouveau acteur de sa propre vie.

On a ici coutume de présenter la thérapie comme un voyage partantdu connu et du familier vers l’inconnu et le possible. 

Pendant le voyage le thérapeute adoptera une posture curieuse de journaliste, décentrée et influente, et posera des questions en passant d’une carte à l’autre, au gré de la relation, afin de mettre en évidence des histoires alternatives en lien avec les identités négligées. 

Ici, contrairement à une approche traditionnelle, le but de la thérapie n’est pas une prise de conscience mais c’est une modification de la perception, qui deviendra spontanée et automatique.

 

  1. processus d’accueil des émotions adaptatif

 

Avant de revenir sur les cartes j’aimerai vous proposer un modèle général pour comprendre le processus en cours dans la thérapie :

On peut dire que les personnes qui sont amenées à consulter un thérapeute le font car elles sont bloquées dans une histoire dominante de survie, une histoire qui est saturée par le problème.

 

Au début du travail, prisonniers des répétitions où les a enfermée l’histoire dominante, les sujets souffrant d’une pathologie racontent au thérapeute des histoires éloignées de celles qu’ils préfèreraient vivre; 

Il s’agit en général d’histoires centrées sur des dysfonctionnements internes qui ne leur permettent plus d’avoir accès à la richesse de leur vie. 

Les personnes décrivent alors des histoires d’échec dans lesquelles elles agissent sans rapport avec leurs intentions.

 

Comment se retrouve t’on bloqué dans une histoire de survie et comment cela fonctionne t’il quand on est piégé dans cette trame narrative ?

 

Il convient, pour comprendre le processus en jeu ici, de revenir sur ce que nous apprennent les neurosciences sur l’utilité des émotions :

 

Les neurosciences, dans la suite d’Antonio Damasio, ont montrées que les émotions ont une fonction adaptative, ce sont des signaux pour préparer l’action. 

 

En cela toutes les émotions sont positives, qu’elles soient agréables ou non.

 

On peut modéliser les choses de la façon suivante :

 

Quand il y a un changement dans le contexte relationnel  qui fait qu’on ne se sent plus en contact avec la collaboration ou que l’on ne ressent pas d’intention positive de la part de son interlocuteur un mécanisme adaptatif de protection s’enclenche :

 

Ainsi, par exemple, dans un contexte où je perçois de l’insécurité, mon corps va me faire ressentir des sensations désagréables que je vais traduire comme une émotion de peur. 

Ce qui sera Absent Mais Implicite (AMI) dans ce contexte c’est la sécurité dans la relation à l’autre.

L’intention positive de l’émotion (la peur dans le cas présent) à mon endroit est de me reconnecter, à un niveau inconscient, avec des expériences de vie où j’ai vécu la sécurité relationnelle. 

Le fait d’être reconnecté à ces expériences me permet d’accueillir le ressenti négatif en lien avec l’émotion de peur, et de m’ajuster corporellement, me permettant ainsi de modifier ma relation à l’autre afin de remettre en place un processus de collaboration et de sécurité.

 

C’est un peu comme si mon corps me faisait ressentir l’émotion désagréable pour m’inciter à me reconnecter à un niveau inconscient avec l’expérience qui va me permettre de m’ajuster au mieux dans l’ici et maintenant. L’émotion a donc un intention positive vis à vis de moi.

 

Le ressenti corporel désagréable en lien avec l’émotion ne pourra être accueilli que dans la mesure où il pourra être relié à une expérience dans laquelle le sujet a ressenti de l’apaisement dans le cadre d’un processus de coopération.

 

 Pour schématiser : On ne peut accueillir le négatif que quand on est en contact avec le positif.

 

Et cette expérience positive servira alors de ressource, de tuteur pour agir et modifier, de la manière la  plus adaptée dans l’ici et maintenant, la relation à l’autre. 

 

En résumé : 

L’information affective transmise par le corps a besoin d’être accueillie pour être transformée en une action adaptée. 

On peut donc dire que l’émotion prépare l’action.

Et pour être accueillie l’émotion doit être connectée avec l’expérience ressource en lien avec le signal.

 

Ainsi il en ira de même pour les autres émotions de base, on vient de donner un exemple avec la peur comme on aurait pu le faire avec la colère ou la tristesse, qui ont la même fonction adaptative. 

Ce qui est AMI dans la colère sera de l’ordre du respect ou la justice.

Ce qui est AMI dans la tristesse tourne autour de relations où j’ai donné le meilleur de moi et où ça a été accueilli en retour. C’est cette reconnaissance par l’autre de  ce que je donne pour améliorer la relation qui me permettra de sentir que j’ai de la valeur. 

Nous manquons de temps pour développer ces points plus avant aujourd’hui.

 

Pour conclure ce point on peut dire que l’émotion est le langage du corps, et que l’intention positive que l’émotion a envers le sujet est de lui indiquer la direction dans laquelle il doit chercher les ressources dont il a besoin afin de s’ajuster dans le contexte, dans la relation avec l’autre.

 

Nous sommes ici dans le cas où le mécanisme adaptatif d’accueil des émotions fonctionne efficacement, mais il arrive que cela s’enraye et qu’on se retrouve bloqué dans l’histoire dominante saturée par le problème. 

C’est ce que vous vivent les personnes qui viennent nous consulter.

 

            3. Le monde du problème

 

Si le sujet est prisonnier d’une histoire pauvre la reconnexion à des expériences ressources ne va pas fonctionner, un peu comme si l’esprit inconscient n’arrivait pas à remettre la main sur ces expériences qui sont pourtant présentes mais inaccessibles.

 

Ne pouvant être en contact avec ces expériences ressources le sujet ne peut accueillir le vécu sensoriel désagréable.

Gêné par ces émotions qui ne sont pas accueillies le sujet va commencer à lutter contre celles ci, essayant de contrôler son corps volontairement pour se calmer, par des processus d’inhibition et de blocages musculaires. 

Il se retrouvera ainsi bloqué et ne pourra agir de façon adaptée dans le contexte.

 

La lutte permet dans un premier temps de chasser le vécu corporel désagréable, mais son intention n’étant pas réalisée l’émotion revient, et elle revient plus fort. 

Moins le sujet agit plus le signal augmente, et l’émotion commence alors à se dédoubler : je n’ai plus seulement peur je commence à avoir peur d’avoir peur. 

C’est l’entrée dans le monde de la pathologie, le monde de la survie, qui se traduit par un triple blocage dissociatif :

 

 

  • un premier blocage dissociatif, dans le corps, que nous venons d’évoquer à l’instant : dans la relation avec l’autre je ressens des sensations corporelles désagréable. Au lieu d’agir pour m’apaiser j’essaie de lutter contre les ressentis qui en retour augmentent. Je vis alors mon corps comme un ennemi que je dois essayer de contrôler en luttant contre mes émotions. Et plus j’essaie de contrôler moins je contrôle…

 

Coincé dans cette impasse, le sujet espère pourvoir résoudre le problème par la fuite dans un imaginaire utopique où le corps pourrait être totalement contrôlé par le mental. Ainsi se met en place le 2eblocage dissociatif.

 

  • Le blocage dissociatif dans la tête, avec le surinvestissement de la sphère cognitive au dépend de la sphère affective. Les sujets sont « dans leur tête » ils n’arrivent plus à habiter leur corps. 

 

Cela se traduit par des pensées qui s’imposent, des ruminations, des interprétations. 

La pensée n’est alors plus en rapport avec la vie mais avec des représentations mentales qui tournent à vide, dans une perception rétrécie des choses. 

 

On peut dire que dans la dissociation la tête est séparée du corps. 

 

  • Le corps n’étant plus habité,en l’absence d’accueil des affects,il commence à réagir de manière mécanique et ainsi se développe le 3eblocage dissociatif, blocage dans le geste, caractérisé par des comportements automatiques, avec des gestes empruntés, pas naturels :

 

D’un coté mes actions ne sont plus en accord avec mes intentions : j’ai des gestes automatiques qui s’imposent à moi (TOC, boulimie, addictions). Le sujet se dit « je ne devrais pas faire ça » avec un sentiment de perte de choix et de liberté.  

D’un autre coté le blocage dissociatif m’empêche de traduire mon intention en action : « je voudrais que ça se passe bien mais tout ce que je fais empire la situation ». En effet en absence d’accueil de l’affect je vais, par exemple, agir violement alors que je voudrais défendre le respect dans la relation.

 

N’arrivant plus à agir de manière adapté le choix devient impossible, il y a des doutes et des doubles contraintes partout.

 

Au maximum du blocage dissociatif le corps est un ennemi qui agit tout seul. C’est le passage à l’acte  «J’étais hors de moi ». « C’était plus fort que moi, la main est partie toute seule ».  On ne peut pas faire autrement.

 

 

  • Ainsi, ne pouvant accueillir la souffrance le sujet développe une histoire utopique, une histoire irréalisable, dans laquelle il fantasme un monde dans lequel seul le respect est présent et où les frustrations et la souffrance devraient être totalement absentes. 
  • Refusant la souffrance, le sujet éprouve la souffrance de la souffrance quand elle se présente. 

 

  • Ces phénomènes d’idéalisation et donc d’échec qui se mettent en place renforcent un peu plus l’histoire dominante qui éloigne des valeurs préférées et enferme le sujet sur lui- même, le poussant à négliger de nombreuses expériences environnantes qui pourraient servir de support à des histoires alternatives, des histoires plus en lien avec la vie et les valeurs préférées du sujet.

La perception de la réalité devient de plus en plus étroite, et le sujet en vient à tout percevoir de façon structurelle : 

 

  • Le rapport au monde devient pathologique : un seul monde, celui du problème « Je ne perçois plus que ça »

 

  • Le rapport  à soi devient pathologique, on se perçoit  de façon structurelle : on s’identifie au problème « je suis névrosé, anorexique, alcoolique »

 

  • Le rapport aux autres devient pathologique : l’autre est perçu de façon structurelle avec une confusion entre le paysage de l’intention et le paysage de l’action: s’il agit méchamment c’est qu’il est méchant, je perçois pas le contexte qui pousse l’autre à agir de la façon dont il le fait.

 

Toutes les relations sont alors perçus sur un mode de rivalité et de méfiance: je n’arrive pas à percevoir les intentions positives chez l’autre. Je me perçois comme une victime dans un monde inamical entouré d’ennemis.

 

Pour citer à nouveau le D. Betbèze on peut dire que « dans le monde de l’abandon tout le monde va finir par m’abandonner car je suis fait pour être abandonné »

 

 

            En résumé dans ce processus le sujet vit son expérience comme une histoire de survie mince et répétitive marquée par un blocage dissociatif qui l’empêche d’accueillir toute nouveauté.

 

Avec le temps cette histoire pathologique se rigidifie et s‘appauvrit, enfermant de plus en plus le sujet dans une thématique pauvre.

Celui ci ne se sent pas auteur de sa vie, il est spectateur d’une histoire qu’il subit sans plus la comprendre. 

Il se vit ainsi aliéné, séparé de lui-même dans son expérience psychique et corporelle, il n’arrive pas à être celui qu’il se sent être à l’intérieur de lui, prisonnier de comportements qui s’imposent à lui et qui favorisent une perception négative de soi.

 

Cette histoire dominante le pousse à se sentir sans valeur, il est incapable de percevoir ses compétences et d’utiliser ses connaissances.

 

Il se sent seul, il se sent en rivalité avec les autres et avec lui-même dans un monde ou règnent la méfiance et le conflit et où toute confiance est illusoire. C’est le monde de la guerre, le monde de la survie, c’est le monde de l’histoire dominante saturée par le problème.

 

            4. Le monde de la vie

 

 

Tout le travail en thérapie narrative va consister pour le thérapeute à permettre au sujet de se reconnecter avec une histoire de vie où la multiplicité des points de vue permet d’enrichir la perception de soi et la perception des autres.

 

C’est cette construction de nouvelles possibilités identitaires chez le sujet en souffrance qui va favoriser sa reprise en main sur sa vie.

Car lorsqu’il est en contact avec ses valeurs préférés, dans une histoire de vie, le sujet peut se réassocier, c’est à dire remettre en route le processus réassociation/ dissociation / réassociation d’accueil naturel des émotions dont nous parlions précédemment :

Lorsqu’il accueille ses émotions le sujet se réassocie et ainsi il forme à nouveau un « corps- esprit ». 

En se réassociant il se sent incarné « j’habite mon corps ».

Le sujet quitte alors le monde de la survie pour retrouver le monde de la vie.

 

Dans le monde de la vie, je suis réassocié, et ainsi :

  • j’accueille mes émotions, mes ressentis en lien avec mes relations. 

La tristesse, la peur comme la colère existent, et c’est bien.

J’accepte la souffrance, et en l’accueillant je modifie ma vie pour en retour ressentir de la joie.

Je perçois l’émotion comme un signal qui m’indique que je m’éloigne d’une valeur importante dans ma vie et j’agis en conséquences

  • En me réassociant j’accueille mes pensées
  • Réassocié, les gestes redeviennent spontanées, on peut dire que le corps est habité. 

 

Ainsi, maintenant, mes actions correspondent à mes intentions : je choisi de faire ce que je fais.  « Je suis libre », et j’arrive aussi à traduire mes intentions en actions.

 

Il n’y a plus de doute car je suis en contact avec une puissance de vie en moi qui rend le choix évident: « Si c’est comme ça c’est ok »

 

  • Réassocié J’ai une perception élargie et dans cette nouvelle perception de la réalité je reprends du pouvoir sur ma vie car : 

Je perçois que l’histoire dominante coexiste avec d’autres histoires qui correspondent mieux à mon identité préférée, et ainsi je me perçois comme séparé, et en relation, avec mon problème. 

 

Je perçois les intentions positives de l’autre  et ainsi j’arrive à remettre en place des processus de coopération.

 

Il existe des contextes où je suis comme manipulé par l’histoire saturée par le problème et où je suis dissocié mais aussi d’autres contextes, où je suis libre d’être moi même et où ce que je fais est en lien avec mon identité préférée. 

 

Réassocié, je redeviens auteur de ma vie car je suis libre de prendre des initiatives personnelles justifiées par des valeurs de vie qui me sont propres, et qui me permettent d’avoir une influence sur la vie du problème. 

 

Ayant du pouvoir sur mon problème je peux modifier ma vie pour diminuer son influence.

 

On appellera les moments où je vis la réassociation des exceptions par rapport à l’histoire dominante, puisque qu’alors le problème est absent.

Ce sont ces moments de réassociation, ces exceptions, qui donneront corps à la multiplicité des possibles.

 

 

 

  1. utilisation des cartes dans ce modèle

 

 

Pour remettre de la vie dans la survie il faut d’abord se connecter à la vie.

Même lorsque l’histoire dominante est saturée par le problème il reste des moments vivants, où le sujet est réassocié. 

 

C’est ce que l’on nomme des exceptions, ou « unique outcome », pour signifier ces moments particuliers où le sujet vit une expérience pendant laquelle la plainte est absente, où il se sent être lui même, où le problème n’est pas là.

 

Pour retrouver ces pépites d’or perdues dans un univers de plomb rappelons nous nous avons des cartes à notre disposition qui nous permettent de nous y retrouver en territoire inconnu.

 

Ces cartes sont des séries de questions :

- De déconstruction de l’identité pathologique pour ne plus être prisonnier du problème

- De construction de l’identité narrative, en explorer les valeurs à un niveau incorporé, incarné.

 

Ces questions permettent de passer de ce qui est connu et familier (le conflit) à ce qu’il est possible de vivre (la coopération)

 

.    6. cartes de déconstruction de l’identité pathologique

 

Pour sortir de l’histoire dominante saturée par le problème on va utiliser les cartes de déconstructions :

 

Ici le questionnement thérapeutique a pour but de  déconstruire l’histoire dominante, pour faire émerger les exceptions qui donneront vie à des histoires jusque là négligées.

Lorsqu’il est reconnecté à ces histoires alternatives dans lesquelles il a pu faire d’autres choix, plus en lien avec ses valeurs, le sujet se réassocie et il trouve le chemin pour modifier sa vie.

Les principales cartes de déconstruction de l’identité pathologique sont : 

  • la carte d’externalisation du problème
  • la carte de l’absent implicite par l’émotion
  • la carte de l’absent implicite par l’action
  • la carte de déconstruction du contexte et du discours
  • la carte de l’échec personnel

En quelques mots :

.    La carte d’externalisation du problème est indispensable lorsque le sujet pense son identité comme reliée au problème. En effet, cette confusion entre identité et problème empêche le patient de percevoir les exceptions et le maintient prisonnier d’une vision négative de lui-même.

A un patient qui dira par exemple « je suis un dépressif chronique, quelque chose ne fonctionne pas chez moi, le problème c’est moi »

On pourra demander « Quand avez vous été recruté par la dépression ? » qui aura automatiquement un effet de recadrage.

  • Les cartes de l’absent implicite par l’émotion, et par l’action permettent d’intégrer les moments de résistance au problème comme des exceptions virtuelles, grâce à la prise en compte de l’intention.

Ex :      

A un patient qui se dit colérique, qui s’entend reprocher qu’il pete les plombs sans raisons : 

    Si je comprends bien, et vous me corrigez, dans ce contexte votre colère est venue pour dire non à l’injustice. En quoi cela nous éclaire sur les valeurs qui vous guident dans la vie ? Pouvez vous m’en dire plus là dessus ?


Et ainsi commencer à explorer une histoire en lien avec le respect par exemple

  • La carte de déconstruction du contexte et du discours et la carte de l’échec personnel sont très utile lorsque le discours du sujet est saturé de « je devrais », « il faudrait », ou bien lorsqu’il est pris dans des processus de comparaison, qu’il s’estime « moins que... », « pas assez ...». 

Elle vont permettre de situer le problème dans un contexte plus large, et d’analyser les discours sociaux à l’œuvre dans ces contextes.

Ex : Y a-t-il dans notre société certaines croyances qui pourraient soutenir l’anorexie ?

Elles permettront de percevoir comme des actes de refus face au pouvoir normatif moderne certaines actions que le sujet vivait jusqu’alors comme des échecs à atteindre des standards de développement personnel.

.   exemple : « Y a-t-il des moments où vous avez donné la priorité à d’autres choses qu’à essayer de vous réformer ? »

 

  • 7. Cartes de construction de l’identité narrative 

Heureusement bien souvent l’histoire dominante n’a pas totalement recouverte les histoires alternatives et il reste des moments vivants, ces exceptions où le problème est absent.

L’évocation de ces moments vivants, où le sujet a vécu la réassociation, lui permet dans le présent, pendant la conversation, de se réassocier à nouveau.

Le travail consiste donc ici à chercher à mettre en évidence ces moments où le sujet se sent mieux, où son histoire n’est pas saturée par le problème, tous les moments vivants qui ont été négligés par l’histoire dominante, et ainsi ouvrir sur d’autres possibles en intégrant ces événements négligés mais pourtant significatifs.

 

Ce processus ne va pas supprimer l’histoire qui fait le problème, mais plutôt la relier à des histoires alternatives, permettant au sujet de reconstruire son identité à partir de ses histoires préférées. 

Avant de revenir sur les cartes de construction de l’identité narrative il convient de rappeler que la construction de l’identité narrative va se faire dans le tissage entre les trois paysages de l’identité : 

.                       -  La relation du sujet à lui-même, paysage du soi

.                       -  La relation du sujet au monde, paysage de l’action

.                       -  La relation du sujet à l’autre, paysage de la relation

Les cartes de construction de l’identité narrative  servent donc à élargir et densifier les trois paysages de l’identité narrative.

On distingue ici : 

  • la carte de l’exception
  • la carte de l’intention et de la valeur
  • la carte du re-membering
  • la carte de re-narration du témoin extérieur


 

- Pour explorer le paysage de l’action on utilisera la carte de l’exception, une série de questions qui inviteront le sujet à rentrer dans des événements de vie (les exceptions), et à tisser à partir d’eux une histoire alternative qui donne un sens nouveau aux  paragraphes de la vie du sujet.

 En effet une exception ne deviendra significative que dans la mesure où elle pourra se relier à d’autres exceptions ou prises d’initiative. 


ex. Prenons l’exemple d’un moment vivant, on parle souvent ici de petites choses de la vie : 

« Je me suis sentie bien lorsque j’ai offert le gâteau que j’avais préparé pour elle à ma cousine, et qu’elle m’a remerciée en me serrant dans ses bras »

 En regardant cette initiative passée et le pas que vous venez de faire, sur quelle(s) compétence(s) diriez-vous que vous vous êtes appuyé ? 

 

 

  • la carte de l’intention et de la valeur permettra d’explorer ce qui guide le sujet dans les moments où il est réassocié. 

En effet dès lors qu’un sujet raconte une histoire en relation avec une de ses valeurs préférées (comme une histoire où il se sent libre, où il se sent respecté), il se réassocie à nouveau dans le présent et ressent un sentiment de plénitude. 

On peut dire qu’on se sent vivant quand on est en contact avec ses valeurs préférés.

 

Ex : Pouvez-vous me raconter une histoire sur votre vie qui pourrait m’aider à comprendre pourquoi vous prenez cette position ?

 

  • carte du re-membering et la Carte de la re-narration du témoin extérieur


Sont des séries de questionsqui amèneront le sujet à percevoir les intentions positives chez l’autre.

 

Le questionnement favorisera ici une lecture coopérative qui seule permettra de percevoir la différence comme un enrichissement de la relation.

 

Ainsi lorsque je suis en contact avec une histoire où je me sens reconnu je me réassocie.

Je ne peux reconnaitre ma valeur que dans le regard de l’autre et ainsi lorsque je raconte une histoire où je suis perçu positivement par l’autre celame reconnecte avec mon identité préférée.

 

Ex : qu’est ce que votre GM voyait en vous que votre mère n’arrivait pas à voir ?

ou

Qui dans votre vie partage cette valeur ? Pouvez-vous m’en dire un peu plus sur cette personne ?

 

8. Conclusion

La thérapie narrative permet de travailler sur tous les domaines classiques de la psychothérapie, et est particulièrement pertinente pour ce que l’on appelle troubles de la personnalité ou troubles de l’attachement

 

Le questionnement narratif va permettre une perception des exceptions, expériences dans lesquelles les paysages de l’action, de l’intention et de la relation vont tisser des souvenirs multiples dans l’histoire du sujet. 

 

La prise en compte de ces différents souvenirs permet à ce dernier de se réassocier, il peut ainsi faire face aux difficultés qu’il rencontre dans sa vie et faire de nouveaux choix plus en relation avec ses valeurs.

 

La mise en séquence de ces exceptions à travers le temps permet au sujet de percevoir le sens de son histoire comme un enrichissement de son identitépréférée.

Les intentions, les valeurs et la dimension relationnelle sont au centre de l’enquête narrative visant à passer de ce qui est connu et familier à ce qui est possible de savoir et de vivre. 

Amener le sujet à modifier sa perception pour voir l’intention collaborative derrière un comportement problématique va lui permettre de se percevoir comme auteur de sa propre vie dans un contexte d’estime de soi.

Le changement ne passe donc pas par une meilleure compréhension cognitive des difficultés rencontrées, mais bien par une expérience s’enracinant dans des moments de vie à partir desquels le sujet pourra accueillir ses affects. 

Le but de la thérapie n’est pas une prise de conscience mais bien une modification de la perception, afin de passer d’une perception étroite (à partir des représentations mentales) à une perception large (à partir du corps).

Dans cette perception large le corps est habité, réassocié, et peut se connecter à la meilleure image de soi. 

 

Le questionnement narratif peut être ainsi compris comme un questionnement de réassociation dans lequel le sujet peut ré-habiter son corps, accueillir ses ressentis sensoriels, et transformer ses mouvements automatiques en mouvements spontanés.

 

A titre personnel, dans mon expérience, la thérapie narrative a eu beaucoup plus de résonnance que d’autres approches auxquelles j’ai pu me former.

 

La vision politique et philosophique qui sous tend l’approche narrative m’a permis de voir le monde dans lequel je vis et les relations avec mes semblables comme avec moi-même sous un jour neuf et plus bienveillant. 

 

Il ne s’agit pas seulement d’un changement de pratique professionnelle, mais bien d’un changement dans le rapport au monde.

 

Quand à la pratique clinique non seulement elle est plus efficace, mais aussi elle préserve le praticien et le protège du burn out,

 

Par l’importance que la thérapie narrative accorde à la responsabilité individuelle, dans le sens ou le patient est invité à évaluer et à justifier ses prises de positions et ses valeurs, cela a contribué à m’aider à arrêter d’essayer de faire à la place de mon patient pour plutôt le guider en le suivant.

 

Par ailleurs le fait de percevoir qu’on peut toujours trouver une intention positive même derrière les comportements les plus condamnables m’a parfois aidé à garder espoir et à rester en contact avec ce qui me guide en temps qu’homme et en temps que thérapeute.

 

Pouvoir travailler sereinement et sans fatigue, efficacement, en restant en contact en permanence avec ses valeurs c’est ce vers quoi veut tendre tout praticien, et la thérapie narrative est une approche qui permet d’y accéder.